À la recherche de la photo rêvée

Le Cervin. Ce sommet, partagé entre la Suisse et l’Italie, a exactement la forme que nous nous imaginons enfant lorsque nous dessinons une montagne. Sauf qu’ici il n’y a qu’une seule pyramide. Le Cervin trône fièrement, seul, au dessus du village de Zermatt. Les sommets alentours, bien que dépassant tous les 4000 mètres d’altitude, lui laissent la place comme s’ils se mettaient en retrait pour lui laisser toute la lumière. Je voue depuis des années maintenant une véritable admiration pour cette cime à la forme parfaite.

Depuis mon tout premier voyage en 2017 et ma randonnée au Riffelsee je rêve d’une photo : Réussir à immortaliser la Voie lactée surplombant le Cervin et son reflet dans le lac.

Au fil de mes différents voyages à Zermatt j’aurai tenté plusieurs fois de faire cette photo mais à chaque tentative elle m’a échappée. Lors de mes premiers essais je n’étais pas encore au point au niveau de l’astrophotographie…Ce n'était pas vraiment concluant. Les tentatives suivantes n’étaient guère mieux en terme de réussite. J’étais plus à l’aise avec les photos d’étoiles, mais cette fois ce sont les nuages qui se sont invités à la fête. Bref, 5 ans que cette photo me trotte dans la tête.

Premier voyage et premier essai…

Pas hyper concluant. Ça passe mais c’est pas extraordinaire.

…Toujours le premier voyage…

Y’a des étoiles mais pas de Voie lactée. Dommage.

Deuxième voyage…

La Voie lactée est là…accompagnée de magnifiques nuages.

2022. C’est décidé, je retente ma chance ! Je veux mettre toutes les chances de mon côté. Je me prends une nuit à l’hôtel du Gornergrat à 3120 mètres d’altitude et juste au dessus du lac. En plus de ça, depuis quelques mois, l’objectif parfait pour l’astrophotographie, à savoir le Sony FE 14mm f1.8, m’accompagne dans mes périples. Je pars au mois d’août, période plutôt propice aux photos d’étoiles. Tout est donc réuni pour que je réussisse enfin la photo donc je rêve depuis tant d’années.

21 août. Fin de matinée. J’arrive à Zermatt avec tout mon matos photo. Encore une fois j’ai été très raisonnable avec le matos que j’ai ramené…

Je prends donc le train avec tout mon bordel direction le Gornergrat. J’ai toujours ce même sourire dès que j’entrevois le sommet du Cervin. Il fait beau, le ciel est dégagé. Je m’imagine déjà passer la nuit qui arrive sous les étoiles. Mon sourire s’étend encore un peu plus. Je dépose mes valises à l’hôtel et je pars marcher en direction de l’hôtel Riffelhaus avec un petit passage par le Riffelsee.

Il y a toujours autant de touristes sur les chemins de randonnée. Je me note les potentiels spots pour les photos de cette nuit. Je shoote quelques photos de paysage alternant entre le 14 mm et le 70-200. Oui, quitte à avoir amené 200 kg de matos, autant l’utiliser…

Je remonte en fin d’après-midi à l’hôtel et je me pose dans la chambre pour traiter quelques photos.

Traitement de photo à Zermatt à l'hôtel du Gornergratt

Il y a pire comme bureau…

Début de soirée, je file prendre le repas au resto de l’hôtel. Le diner est compris dans le prix de la chambre (en effet, se faire 1500 mètres de dénivelé négatif puis positif pour une petite fondue à Zermatt c’est un peu sportif). Une fois le repas terminé, je ressors pour passer la soirée dehors et profiter du coucher de soleil. Je redescends vers l’un des spots repéré un peu plus tôt dans l’après-midi et j’installe le trépied pour pouvoir prendre quelques ‘dos-toportrait’. Les couleurs du coucher de soleil commencent à arriver et le ciel s’embrase petit à petit. Le moment est incroyable. Les sommets alentours commencent à rougir au fur et à mesure que le soleil se rapproche de l’horizon.

Une fois la séance photo du soir terminée je remonte à l’hôtel. Je prépare mes affaires pour ma sortie nocturne. Je mets mon réveil à sonner pour minuit et je me couche. Bien sûr l’excitation de la photo à venir m’empêche de dormir. Je vérifie une dernière fois les prévisions météo et je devrais avoir une nuit claire !

Minuit, le réveil soleil ! Je me lève, j’ouvre les rideaux et…

…Tout est dans le brouillard. On ne voit pas à plus de 5 mètres…Je me dis que le temps va tourner, je remets un réveil à 1h00. Je me lève une nouvelle fois et…grande amélioration, on voit désormais à 6 mètres… Je mets un réveil toutes les heures mais à chaque fois le même résultat, aucune visibilité. J’ai même droit à quelques chutes de neige. Je suis un peu dépité. 6h00, toujours aussi peu de visibilité mais je sors quand même au niveau de la plateforme située quelques mètres au dessus de l’hôtel. Tout est encore bouché mais petit à petit je vois la quantité de nuage diminuer et quelques sommets commencent même à être visibles.

Le soleil commence à se lever et le sommet du Cervin commence à s’enflammer et se parer d’une couleur orange incroyable. Mais les nuages jouent un peu avec ma patience en cachant de temps à autre l’ensemble du paysage. Mais voila qu’ils se calment et une vue incroyable s’offre à moi. Tous les sommets sont oranges et donnent l’impression de surfer sur une mer de nuages. OK, ça compense un peu la nuit sans étoile.

Le reste de la journée se passe en randonnée, sans appareil photo. Ça fait du bien aussi de profiter juste avec les yeux, sans forcément chercher le spot parfait ou l’angle de prise de vue idéal.

Je retrouve néanmoins le boitier pour la fin de journée. Je passe cette fois la nuit à l’hôtel Riffelhaus qui est un peu plus bas que le fameux Riffelsee. Après le diner je pars en repérage pour bien noter les chemins à prendre pour monter jusqu’au lac durant la nuit. Je shoote le coucher de soleil mais je suis un peu inquiet. Le temps se couvre. Le Cervin est complètement derrière les nuages. Les prévisions annoncent une nuit claire (comme la veille et on a vu le résultat…). Je commence à me dire que je n’arriverai jamais à avoir les conditions idéales.

Allez Flo, suis nous, on va t’amener au Riffelsee !

Je redescends à l’hôtel, je remets mon réveil à minuit. Il n’y a plus qu’à attendre.

Minuit, le réveil sonne. Je n’ai pas fermé les rideaux et je vois quelque chose scintiller dehors. Je sors sur le balcon… Bon, premier choc…il fait froid et c’était pas une excellente idée de sortir en caleçon. Mais le ciel est complètement dégagé. C’est pour ce soir !

Oui oui, j’étais dans cet état là…

Je m’habille en vitesse, je fais en sorte de prévoir plusieurs couches (non pas que j’ai des envies pressantes…mais plusieurs couches de vêtements), la nuit s’annonce fraîche. Une de mes petites voix (la paresseuse…) me dit « on était bien sous la couette nan? Faut vraiment aller se les geler dehors et marcher pendant 40 minutes dans la nuit ?». Elle se fait reprendre directement par mes autres voix qui lui disent de la fermer et qu’on attend tous ça depuis des années donc feu !

Lampe frontale installée et c’est parti pour 40 min de montée dans la nuit jusqu’au lac. Je m’accorde quelques pauses au fil de l’ascension où je profite du paysage, protégé par ce dôme d’étoiles au dessus de moi.

J’arrive finalement au lac. Pas un chat. Pas un chien non plus. Pas un renard. Pas un ours… bref, vous l’aurez compris, personne ! Je me lance dans mes premiers essais. Je suis déjà émerveillé devant le résultat s’affichant sur l’écran à l’arrière du boîtier. Mais il est encore trop tôt dans la nuit. La Voie lactée n’est pas encore alignée avec le Cervin. Pour avoir l’heure à laquelle j’aurai droit à cet alignement j’utilise l’application PhotoPills. Je profite donc des deux heures devant moi pour faire des essais avec la télécommande radio et la lampe frontale. Je me trouve un spot où m’installer pour que la composition soit sympa. Premier essai, je glisse sur le rocher et manque de tomber dans le lac.

Ça aurait pu finir comme ça…

Plus de peur que de mal. Je déclenche avec la télécommande, j’attends une quinzaine de seconde (pose longue oblige). Je retourne au boitier en faisant attention de ne pas me vautrer dans l’eau.

S’en suit un dialogue entre toutes mes petites voix :

“Pourquoi je vois rien sur l’écran ? Ça a pas déclenché ??

- Tu as allumé de boitier de la télécommande FLO? Me demande ma petite voix dépitée

- Ah bah nan…

- Tu me fatigues…Dire qu’on aurait pu rester au chaud sous la couette…

- Oui bon bah c’est l’excitation”

Oui, la folie me guette avec cette solitude nocturne. Je prends donc le temps d’allumer le boitier de la télécommande et je retourne faire mes essais (sans glisser cette fois-ci).

Après une trentaine de minutes je pars me balader jusqu’au second lac. Je vois des objets réfléchissant. Mon premier réflexe est de me dire « mince, je ne suis pas tout seul, sans doute des gens sur leur téléphone qui attendent eux aussi la photo parfaite… » je m’avance et je me rend compte que ce ne sont que des bandes réfléchissantes sur une tente. Visiblement le bivouac n’est pas interdit pour tout le monde. Je me rends compte alors que les personnes qui dorment sous la tente ont un chien avec eux. Il est tout aussi surpris que moi de cette rencontre en pleine nuit et commence à japper. Désolé pour la frayeur mon vieux.

Je prends quelques photos puis je retourne à l’autre lac. En reprenant mon sac je me rends compte que le dessus est complètement trempé. Mes petites voix s’en donnent encore à coeur joie (oui je commence vraiment à devenir fou…) :

“Tu as quand même pas été assez stupide pour le foutre dans l’eau ?

- Je l’avais bien dit qu’on aurait du rester sous la couette

- Roooo la ferme toi !

- Bah nan j’ai l’impression que le reste est sec, j’ai quand même pas trempé mon sac dans le lac comme une mouillette dans un œuf à la coque ?? (je commence à en douter sérieusement…)”

Je me rends alors compte en levant la tête avec la lampe frontale que l’air est rempli de petites gouttes d’humidité. Ça me rassure, je ne suis pas encore complètement taré….

Je retourne au premier lac (que je trouve beaucoup plus joli). Je pose l’appareil photo et je profite du spectacle sans prendre aucune photo. Le reflet du Cervin dans l’eau si calme est incroyablement beau. Je me dis simplement que j’ai de la chance d’être là.

Ça y est c’est l’heure. Je vérifie les derniers réglages et je déclenche. 15 secondes plus tard le résultat s’affiche. Ça y est, je l’ai ! Je prends le temps de regarder en détail la photo et je me dis que finalement, après tant d’attente, j’ai enfin réussi à l’avoir cette Voie lactée au dessus du Cervin.

Et la voila…

“Ah bah c’est pas trop tôt, obligé de lire tout ton article pour enfin la voir !!”

Après ces trois bonnes heures à faire des photos autour du Riffelsee, je redescends tranquillement jusqu’à l’hôtel, le sourire vissé au visage. Ma petite voix paresseuse en prend pour son grade

“Aaaallloooorrrsss ? Ca valait le coup ou tu aurais préféré rester sous la couette ??

- Oui bon ça va hein ! Mais maintenant on va dormir !

- Bah nan, on va traiter les photos et dans 4 heures c’est le lever de soleil !

- Sérieusement ?? C’est pas des vacances ça !!”

Je les laisse se battre dans mon cerveau et je continue de profiter de ces moments en m’arrêtant et en profitant de ces sommets qui s’élèvent autour de moi et de toutes ces étoiles qui scintillent au dessus de ma tête. En redescendant à l’hôtel je repense à cette longue quête que j’ai menée pour obtenir cette photo. L’une des nombreuses et magnifiques citations de l’auteur Sylvain Tesson me revient alors en tête. Je crois qu’elle colle parfaitement au moment que je viens de vivre :

J’avais appris que la patience était une vertu suprême, la plus élégante et la plus oubliée. Elle aidait à aimer le monde avant de prétendre le transformer.
— Sylvain Tesson - La panthère des neiges